Compte rendu du XVe Congrès de l'Institut Psychanalyse et Management

Les 13, 14 et 15 Novembre, s'est tenu dans les locaux de la Manufacture des Tabacs le XVème congrès de l'Institut Psychanalyse et Management. Ce congrès était organisé conjointement par l'IAE et l'ISEOR. Il a réuni plus de 150 participants, universitaires et praticiens, avec des gestionnaires, DRH, responsables d'entreprises; consultants et avec des psychanalystes, psychologues et psychiatres. La richesse des apports et des débats a été à la hauteur de la diversité des participants.

XVème Congrès de l'Institut Psychanalyse et Management

Pourquoi psychanalyse et management ?

L'hypothèse fondatrice de l'IP&M est que la connaissance des organisations (entreprises mais aussi toutes institutions publiques ou associations...) peut progresser avec la lecture que livrent la psychanalyse, et également la psychologie. Il est parfois intéressant de "chausser d'autres lunettes" pour mieux comprendre son objet d'observation.

A contrario, la psychanalyse, longtemps (encore ?) limitée à l'individu, peut s'enrichir d'une confrontation avec les organisations, c'est-à-dire passer du champ de la personne, à celui du groupe. Les débats à ce propos sont encore très nombreux, et tout n'est pas démontré. C'est dans cette perspective délibérative que se situent les trois journées du congrès.

Le 13 Novembre 2006 après midi

De façon innovante, la première demi-journée proposait aux congressistes une formule "pré-congrès", c'est-à-dire des ateliers de sensibilisation aux grands fondamentaux de l'articulation psychanalyse et management.

Deux ateliers ont accueilli une quarantaine de personnes qui ont pu s'initier ou mettre à jour leurs connaissances à l'intersection des deux champs disciplinaires.

Ainsi, Thibault de Swarte, professeur à l'ENST Bretagne, membre de l'IP&M et International Society for the Psychoanalytic Study of Organizations a animé un atelier intitulé : "Sensibilisation à la psychanalyse organisationnelle", chaque participant a apporté un cas concret de situations professionnelles et l'atelier permet l'analyse et le décryptage de ces situations, avec la double lecture gestionnaire et psychanalytique.

Le second atelier :"Structures psychiques et organisation", était animé par Roland Brunner, psychanalyste, coach et superviseur, membre fondateur de la société française de coaching, enseignant à l'INT et à l'Université Paris VIII. Roland Brunner a exposé dans un premier temps, la notion de structure psychique en psychanalyse. Il a présenté ensuite les différentes structure, hystérique, obsessionnelle, narcissique, perverse et psychotiques, en les reliant aux styles de management. Un échange avec les participants a permis ensuite d'éclairer nombre de situations-problèmes observées par chacun dans sa vie professionnelle.

La journée du 14 Novembre 2006

Lors de l'accueil, Gilles Guyot, Professeur en Sciences de Gestion et Directeur de l'IAE de Lyon a donné une vision historique de la construction des sciences de gestion. Henri Savall, co-président du comité scientifique du congrès, Professeur en Sciences de Gestion et Directeur de l'ISEOR a présenté les enjeux de la fertilisation croisée entre champs disciplinaires, et a rappelé l'implication de l'ISEOR dans l'IP&M depuis de nombreuses années. Dominique Drillon, président de l'IP&M, Directeur de la Recherche à l'ESC Montpellier a rappelé l'origine de l'IP&M et ses grands objectifs. Jacques Variengien, psychologue clinicien, psychothérapeute et consultant, co-président du comité scientifique du congrès, et Isabelle Barth, Professeur en Sciences de Gestion à l'IAE de Lyon et l'IAE de Metz, ISEOR ont présenté le thème du congrès et ses enjeux : « le souci de soi semble caractériser l'individu contemporain, dans sa recherche d'épanouissement personnel et de maîtrise de soi, le souci des autres se heurte de plus en plus à une marchandisation et une judiciarisation de la relation. Les organisations, et plus particulièrement les entreprises, peuvent être des lieux de souffrance pour les individus, comment la gestion et la psychanalyse peuvent elles accompagner leurs développements conjoints, dans le respect tant de l'individu que du groupe ? L'insouciance est un "non concept", une attitude peut être, qui semble attachée à l'enfance, et de moins en moins possible dans le monde professionnel, il leur a paru intéressant d'interroger ce terme ».

La première conférence plénière a été prononcée par Martine Fourré, psychanalyste, au Sénégal, Docteur en psychologie, Membre de l'Espace Analytique et de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse sur le thème : Emergence du sujet et construction de l'autre, de tous les autres. Martine Fourré a souligné le fossé infranchissable qui existait entre le sujet et le social. « Les analystes veulent rester dans le cadre du fauteuil/divan et considèrent les praticiens sociaux comme dérangeants ». Elle nous a parlé de son activité de psychologue auprès des enfants sénégalais en grande difficulté. Elle a décrit aussi le processus de constitution du groupe, et son importance, dans cette culture. Jacques Variengien est revenu sur l'enjeu pour l'analyste de maîtriser son propre inconscient et, reprenant l'environnement de l'entreprise,a évoqué la crainte de chacun d'être utilisé, fétichisé" par l'autre.

La seconde partie de la matinée était consacrée aux ateliers, permettant à des chercheurs et des praticiens de présenter leur communication. L'intégralité de ces communications a d'ailleurs été proposée dans un tome remis à l'ensemble des participants et disponible auprès de l'ISEOR. Chacun des atelier était organisé autour d'une thématique commune et co-animé par un gestionnaire et un psychanalyste Les thèmes étaient :

  • L'organisation comme objet d'observation qui permet une réflexion sur les méthodes utilisées en gestion et en psychanalyse
  • Le stress, le harcèlement et la culpabilité, avec présentation de plusieurs études de cas
  • Le management de l'autre avec la problématique centrale actuellement pour les entreprises du management de la diversité
  • Les comportements humains dans les organisations, tout particulièrement face aux changements, qu'ils soient négociés ou pilotés.

La première conférence plénière de l'après midi était une table ronde consacrée au thème de la santé au travail. Cette table ronde était animée par Georges Trepo, Professeur à HEC School of Management,). Wolfgang Rapp, Professeur Emérite de l'Université de Heidelberg, en charge du projet Santé du travail du Centre hospitalier des Pyrénées présente avec Alain Lalaude, cadre infirmier, un projet de mise en place d'une consultation de médecine psychosomatique, avec l'idée que le patient devient un partenaire. Ils ont présenté une méthodologie complètement innovante de diagnostic par questionnaire informatisé. Jacqueline Menaut et Bernadette Pratt, respectivement médecin du travail et aide soignante à l'hôpital de Pau ont exposé tout le travail fait dans ce centre hospitalier après le double meurtre perpétré par un patient dans le service psychiatrique.

XVème Congrès de l'Institut Psychanalyse et Management

La seconde table-ronde était consacrée à un sujet très questionné actuellement dans les entreprises : le  coaching : entre souci de l'individu et souci de l'organisation. Le débat était animé et préparé par Sylvie Roussillon, professeur à l'EM Lyon et à l'IAE de Lyon, avec Myriam Hamez-Spy, coach et présidente de HPCI à Montréal, venant du Québec, Agathe Potel, Professeur à l'EM Lyon et Robert Ziili, coach et co-fondateur Excelia. Tous les quatre sont psychologues avec une expérience psychanalytique, et pratiquent chacun un type de coaching : celui du dirigeant, le coaching de carrière et le coaching interculturel. Ils réfléchissent aux convergences entre coaching et psychanalyse, avec une interrogation des pratiques et des limites respectives, est ce que la notion de "réparation" pourrait être un point commun ?

La dernière conférence nous a livré le point de vue d'un anthropologue sur les ambivalences du souci de l'autre. Dominique Desjeux, Professeur d'anthropologie sociale et culturelle à l'Université René Descartes, Paris 5 Sorbonne, a souligné la relativité de ce rapport à l'autre, en l'analysant dans des cultures aussi différentes que la culture française et la culture chinoise. La notion d'échelles d'observation est également essentielle en recherche, car elle est la clé de la description et de l'interprétation de nombreux phénomènes.

Le repas de gala a eu lieu dans le Salon des Symboles avec une exposition des œuvres picturales de l'atelier d'art plastique des patients de l'unité psychiatrique de l'Hôpital Saint Jean de Dieu à Lyon, ateliers co-animés par un psychologue et un plasticien, qui viennent présenter ce travail. Un orchestre de jazz accompagnait ensuite le dîner servi sur place.

La journée du 15 Novembre 2006

La première conférence plénière était celle de Thierry Pauchant, titulaire de la chaire de management éthique à HEC Montréal. Il nous a présenté les travaux de cette chaire, qui donnent lieu à des approches et à des pratiques innovatrices dans toutes les dimensions managériales, de la production aux ressources humaines en passant par les technologies de l'information, le leadership, la stratégie, la finance, la comptabilité et le marketing. Le programme de travail couvre les quatre domaines interreliés de l'éthique organisationnelle : le domaine économique, le domaine social, le domaine écologique, le domaine existentiel. Pour Thierry Pauchant, le but ultime de la Chaire est de répondre à la triple interrogation : "Comment faire pour que de bons gestionnaires fassent un bon travail dans de bonnes organisations?". Ce sont ensuite les ateliers en parallèle qui ont pris place avec les thématiques suivantes : souffrance dans les entreprises, l'insouciance, le rôle des dirigeants et la relation à l'autre, pilotage et contrôle, avec plus de 12 communications présentées, commentées et analysées d'un point de vue psychanalytique.

La sixième séance plénière, animée et préparée par Michel Vallée, psychosociologue, directeur MV Conseils, ex département santé et travail ANACT, Lyon, a réuni Michel Debout, chef de service au CHU de St Etienne, Président de l'Union Française de Prévention du suicide, Philippe Douillet, pilote du projet ANACT "Risques et troubles psychosociaux" et Henri Savall, Professeur de Sciences de Gestion IAE de Lyon, Directeur de l'ISEOR, sur le thème : l''autre-objet, oubli de soi, hypothèses d'impacts en santé mentale dans les organisations. Tous les quatre ont rappelé l'enjeu de faire des propositions pour éviter ces névroses du comportement, de plus en plus observées dans les entreprises. Le travail est souffrance mais aussi constructeur de la santé, à condition de lui trouver un sens, de la cohérence, de la reconnaissance. Le travail suppose l'acceptation de contraintes, de temps, d'espace, de relations mais offre aussi des contreparties : le salaire, le respect de la personne, la protection de la santé. Or la violence va impacter le respect et la santé : les médias nous rapportent nombre de faits divers où des professions exposées (chauffeurs de bus par exemple) exercent de plus en plus fréquemment leur droit de retrait. Ainsi, la précarité du travail est en elle-même une grande violence faite aux salariés. La profusion de normes ("l'idée la plus pure cache toujours un fonds de commerce puissant"), souvent incohérentes, et se portant contradiction n'est pas, comme on pourrait le penser, une solution car les contraintes qu'elles génèrent contribuent à ce mal être au travail. Enfin, le docteur Marcel Sassolas, Psychiatre et psychanalyste, président de l'Association Santé Mentale et Communautés, membre du Groupe Lyonnais de psychanalyse, a prononcé la dernière conférence avec ses Réflexions sur la sollicitude et  l'insouciance. Il a fait part de sa très riche expérience de soignant psychiatre, rappelant cette exigence de sollicitude. Il a souligné le paradoxe de la psychiatrie médicale, qui soigne les pathologies, mais diminue chez le patient, sa capacité à "s'occuper de soi". Il a proposé aussi une définition de l'insouciance : ne serait ce pas une "inquiétude assumée" ? et rappelle que nous sommes dans une société où le risque est de moins en moins assumé : d'où la montée en puissance du "principe de précaution", et de la multiplication des interdits.

Au final : des éclairages très divers de ces concepts de souci, de soi, de l'autre et d'insouciance, avec la recherche constante du lien entre individu et organisation, pour permettre aux uns , comme aux autres, la mise en œuvre de projets sinon communs, du moins compatibles. L'articulation entre psychanalyse et gestion semble ténue, mais possible, à la condition que les experts de chaque champ disciplinaire fassent un effort d'écoute et de compréhension mutuelle. Les réflexes respectifs de "recherche de performance" pour les sciences de gestion et de "relecture" pour la psychanalyse ne facilitent pas la mise en phase. Néanmoins, la convergence s'opère sur la conviction commune de l'entreprise (l'organisation) comme acteur (et non seulement lieu) de l'épanouissement de l'homme.

Compte rendu rédigé par Isabelle Barth ISEOR Coordinatrice du congrès