Compte rendu : « Victime de la discrimination ? Vers qui se tourner ? Comment Agir ? »

Cette table ronde, organisée le 6 mars 2008, presque deux ans, jours pour jour après les 6èmes Assises de la Vente intitulées : « Manager la diversité : au-delà du discours, un pari gagnant ? », en est aussi dans leur prolongement.

Nous avions pu débattre pendant cette journée, de la diversité des profils des forces de vente, du marketing ethnique et communautaire ou encore des mécanismes de discriminatoires du refus de vente. Nous avions également abordé des thématiques comme le business case' - consistant à réfléchir aux raisons économiques d'agir pour la diversité en entreprise, du management de la diversité et d'égalité et de lutte contre les discriminations au motif notamment de l'âge, du sexe ou de l'orientation sexuelle. Ces rencontres ont donné lieu à la publication d'un ouvrage collectif paru fin 2007 et préfacé par Cathy Kopp, qui était présente à ce colloque à plus d'un titre, puisque alors membre du collège de la HALDE, DRH du groupe ACCOR et négociatrice pour le MEDEF de l'Accord Interprofessionnel relatif à la Diversité dans l'Entreprise d'octobre 2006.

Deux ans plus tard, 1500 entreprises sont signataires de la Charte de la Diversité, pourtant, dans le même temps, on constate une augmentation exponentielle du nombre de réclamations pour discrimination auprès de la HALDE.

Il nous a donc paru important de refaire un point, pour savoir où en est la prise en charge des victimes de la discrimination, de leur donner la parole pour mieux comprendre leurs attentes et de communiquer sur les chemins donnant accès à leur reconnaissance.

Les interventions

Pour cela, nous avons souhaité un échange à plusieurs voix et nous avons invité :

Mme Maryse Puiatti qui représente la HALDE et installe actuellement la représentation en Rhône Alpes,

M. Laurent Labrot, directeur du centre de formation de la CFDT,

M. Bruno Verney en charge des affaires sociales pour le MEDEF du Rhône,

M. Jacques Lizé, co-président de l'association SOS Homophobie.

Il est clair que ces 4 personnes ne sont pas représentatives de toutes les victimes de la discrimination, mais il a fallu faire des choix pour laisser un temps d'expression décent aux participants, tant à la table ronde que dans la salle, puisque le principe de ces conférences est de laisser un temps important pour les échanges avec les auditeurs.

La table ronde est animée par Christophe Falcoz, directeur de RCF Management et Isabelle Barth, professeur à l'IAE de Lyon.

 

Gilles Guyot introduit la table ronde en rappelant qu'il s'agit d'un thème qui a tout à fait sa place dans une école de management, tout en allant au-delà des problématiques de management.

Maryse Puiatti rappelle qu'il y a en effet eu une explosion des plaintes auprès de la HALDE en 2007 puisqu'elles sont en augmentation de 50 % par rapport à 2006 et au nombre de 6222 (ce qui signifie plus de 15 000 appels dans l'année), alors que la HALDE n'est pas une institution encore très connue. Le domaine le plus pointé du doigt est celui de l'emploi, le secteur public étant autant mis en cause que le privé.

Par contre, les plaintes ne sont pas focalisées sur l'embauche (les organisations ont certainement fait des progrès à ce propos), mais portent de plus en plus sur les questions de déroulement de carrière. Les motifs en augmentation la plus nette sont la santé et le handicap avec 1349 plaintes, les réclamations ayant pour cause l'origine sont en stagnation, et celles liées au sexe sont en régression de 6 % (à savoir qu'elles sont en majorité du fait d'hommes). Les discriminations dues à l'appartenance syndicale ne sont pas en proportion significative, certainement parce que les syndicats ont su s'organiser sans attendre la création de la HALDE.

Pour répondre à ces afflux de réclamations, la HALDE installe actuellement 5 délégations régionales pour permettre une nouvelle façon d'entrer en contact avec les réclamants. L'idée est de ne pas apporter une solution unique aux questions posées. Ainsi dans le Nord Pas de Calais, une douzaine de correspondants ont été recrutés, afin de recevoir les plaignants, de les orienter et de les aider à constituer leur dossier. Ces correspondants sont d'origines extrêmement diverses (à noter que deux d'entre eux sont des anciens commissaires de Police). Le même maillage va être mis en place en Rhône Alpes sur l'année 2008.

La HALDE met également des formations et des actions de sensibilisations auprès des acteurs professionnels comme les magistrats, les avocats, les policiers ... Mais Maryse Puiatti regrette qu'il n'y ait pas vraiment de formation proposée au sein des Universités.

 

M. Laurent Labrot rappelle que la CFDT a su être présente très tôt dans la lutte contre les discriminations, mais au départ, certaines discriminations ont été davantage mises en avant : le genre, puis l'âge, l'origine ethnique (qui est montée en puissance dès 1995). Il y a par exemple eu la mise en œuvre du projet ASPECT pour l'égalité des chances avec des actions de sensibilisations auprès des RRH, qui ne se sentaient pas toujours compétents sur ces thèmes et avaient souvent d'autres priorités.

L'Europe a joué également un rôle moteur en mettant la France en demeure de s'intéresser pleinement à ces questions, sachant que d'autres pays étaient nettement plus en avance dans leur traitement. Beaucoup d'accords ont été signés dans des entreprises : ADECCO, INRS, SUEZ, ACCOR .....

La CFDT a mis en place des dispositifs locaux : le délégué syndical est là pour accueillir, écouter puis orienter les salariés se pensant victimes de discrimination. Un souhait est d'avoir des échanges plus réguliers avec les structures patronales, comme avec le monde de la recherche, particulièrement en sciences sociales.

 

Bruno Verney admet que les accords d'Octobre 2006 ont permis aux  membres du MEDEF d'aborder les problèmes de la discrimination d'une façon plus directe, et avec une vraie prise en compte des réalités. Le choix a été de travailler à partir des bonnes pratiques et de valoriser les personnes qui s'engagent dans cette lutte.

L'entreprise a vocation à être un lieu d'intégration plus que d'exclusion, même s'il faut reconnaître qu'il y a des cas de discriminations et que longtemps, l'attitude a plutôt consisté à se voiler la face.

Un exemple de dispositif ayant fonctionné est : « nos quartiers ont du talent », dont la prochaine édition aura lieu le 27 Mai.

 

Jacques Lizé explique que l'association SOS Homophobie a une ligne d'écoute nationale, 70 % des appels venant de la Province. Un rapport est édité chaque année.

L'homosexualité est encore lié à un tabou : on ne se plaint pas facilement d'avoir été discriminé ou agressé pour homosexualité, ni dans les commissariats, ni auprès des DRH, car c'est un principe de double peine : être victime et gérer ce qui va suivre. Il faut savoir que seulement 10 % des victimes portent plainte, les autres se taisent.

SOS Homophobie accueille actuellement 1200 à 1300 appels par an, avec 186 cas de discrimination cette année. Le premier lieu de manifestation de l'homophobie est le lieu de travail, presque jamais à l'embauche car l'homosexuel(le) joue la stratégie de l'invisibilité, mais c'est ensuite, dans l'intégration et le déroulement de la carrière, que la question de la différence se pose.

Les écoutants de l'association sont formés à poser les bonnes questions car la victime est souvent en état de stress, avec une formation au droit et à la victimologie. Les objectifs sont soit d'orienter la victime (sur la HALDE par exemple), soit de prendre des mesures contre le harceleur ou le discriminateur, la médiation est prise en charge par l'association.

 

Les questions avec la salle

Quel est le fonctionnement exact de la HALDE ?

 

Maryse Puiatti explique qu'il y a 3 grands services à la HALDE :

  • un service de promotion des égalités avec une douzaine de personnes
  • un service juridique avec une quarantaine de personnes dont la moitié sont des juristes experts dans ces domaines de discrimination
  • un service d'accueil

Les écoutants incitent les appelants à écrire si le dossier le justifie, sachant que la première plainte peut aussi se manifester par écrit, mais il faut admettre que le courrier pénalise les personnes moins éclairées (certains par exemple oublient d'indiquer leur adresse).

Il y a ensuite analyse du dossier, si la plainte est hors champ, une lettre type en avertit le plaignant, la HALDE, faute de moyen, ne peut actuellement faire mieux mais souhaiterait pouvoir accompagner toutes les demandes de façon plus qualitatives.

Si la demande est recevable, la personne est rappelée et accompagnée dans la constitution de son dossier, avec des investigations, ainsi la HALDE a le droit d'exiger des pièces, elle met également en place des coopérations avec les inspecteurs du travail. Les auditions sont possibles (à noter que les droits de la HALDE sont enviés par les structures équivalentes d'autres pays).

Chaque dossier est ensuite soumis au collège de la HALDE qui procède à son orientation.

Mais les moyens sont précaires : ainsi chaque juriste suit de 150 à 200 dossiers... et les délais s'allongent, ils sont actuellement de 6 mois à 1 an ;

 

Questions : - La HALDE est telle représentative de la diversité ? - Quid de la recommandation du rapport Balladur de la fusion de la HALDE et des médiateurs ? - Va-t-on continuer sur ce principe du bénévolat ?

 

Réponses de Maryse Puiatti :

  • oui, les personnes travaillant à la HALDE sont très diverses, et c'est un sujet très important bien évidemment
  • à l'heure actuelle, rien ne semble indiquer que la fusion proposée se fera
  • le bénévolat n'exclut pas le professionnalisme, les relais locaux seront en effet des bénévoles défrayés.

Question : Les contrats aidés ne posent-ils pas problème ?

 

Il ne faut pas mélanger les politiques publiques et les actions spécifiques de lutte contre les discriminations mais il est frai que les contrats ciblés vers des populations posent le problème de leur stigmatisation.

 

Question : quel est le nombre de condamnation ? pouvez vous citer un cas ?

 

Maryse Puiatti  précise qu'il y a environ 30 à 40 cas devant la justice chaque année, avec un assez grand nombre de non lieux. Il y a des condamnations, comme le cas de la responsable d'un salon de coiffure qui cherchait activement une coiffeuse et avait refusé une jeune personne noire, elle a été condamnée à verser 5000 euros et à deux mois de prison avec sursis.

 

Question : pouvez vous parler du cas de la fonction publique où on se contente de déplacer les personnes, soit discriminées, soit discriminatrices ?

 

Cela pose le problème du pouvoir d'agir que l'on a dans les entreprises comme dans la fonction publique. Il faudrait mettre en place d'avantage de dispositifs de médiation dans les organisations.

Nous avons pourtant un arsenal juridique mal connu et mal utilisé comme la loi du 31 Décembre 1992 qui donne un droit d'alerte aux représentants syndicaux.

 

Question : que pensez-vous de l'ethnicisation de certains métiers : cas des agents de surveillance dans les grandes surfaces  ?

 

La question pose toute la question du système éducatif, pas assez présent sur la question de la discrimination et qui favorise l'auto détermination, on l'observe pour l'origine ethnique mais aussi pour le handicap.

Compte rendu rédigé par Isabelle Barth

Co-organisatrice de la table ronde